"Ingénieur, je travaillais dans une société industrielle réalisant de la sous-traitance pour l’industrie automobile. Les différents postes que j’avais occupés ne m’intéressaient que le temps de m’y installer ; le rond-rond quotidien ne me convenait pas. Je n’étais pas bien dans mon travail. Je voulais changer de société, de poste mais je ne savais pas quoi chercher. Cela faisait un moment que je passais des entretiens, sans convaincre mes interlocuteurs car je n’étais pas convaincue moi-même par ce que je voulais.
Ma société avait besoin d’un interlocuteur informatique sur le site industriel. Ce petit rôle m’avait été proposé car j’avais toujours montré de l’intérêt pour cela. Il me fallait suivre une formation pour comprendre les tâches que je devrais exécuter. Je suis « montée à Paris », et j’ai suivi cette formation d’une journée avec avidité. Je voulais tout savoir, tout comprendre de ce monde qui m’était finalement complètement inconnu. Au bout de la journée, je ne voulais qu’une chose, en revivre une nouvelle. Dans le RER B qui m’emmenait de Sevran-Beaudottes à la Gare du Nord, au niveau de l’arrêt Stade de France, j’ai eu comme une illumination ; j’ai réalisé que l’informatique était LA voie que je cherchais depuis un certain temps et qu’il fallait donc que je fasse tout pour travailler dans ce domaine… »
Deux ans après, au terme de tractations avec son employeur puis d’une confrontation directe avec le marché de l’emploi, Véronique deviendra Consultante ERP dans une société de services. « C’était une période excitante, passionnante, enrichissante … Je ne me souviens pas que cela ait été difficile… C’était passionnant ! Avec 13 ans de recul, parmi tous les postes que j’ai occupés (dont d’autres depuis), le plus beau reste celui de consultant, même si l’évolution de ma carrière ne me permet plus aujourd’hui d’exercer ce métier… Je ne m’étais donc pas trompée ! »,
Véronique.
Jeune adulte, j’ai fréquenté assidument les clubs de parachutisme et passé mon brevet de pilote de planeur. Et après un service militaire, comme officier dans l’Armée de l’Air, j’ai fait le choix d’une carrière dans l’industrie afin de privilégier ma vie provinciale. Etape par étape, j’ai alors construit mon projet de reconversion. Pour être reconnu dans le métier, il me fallait faire une formation reconnue : j’ai choisi le Master spécialisé à l’ENAC, avec l’idée parvenir à terme à un poste de directeur d’un aéroport. Pas à pas, j’ai construit ma légitimité. Un premier poste, puis un deuxième… Et finalement, après deux années dans ce type de poste, j’ai décidé d’arrêter : le contexte du poste ne me plaisait pas du tout (pression politique, horaires sans fin). Je suis aujourd’hui conseiller au sein de la délégation générale des aéroports français, et je me sens libre, heureux et motivé…
Si un changement de vie parait idyllique et facile, en réalité, c’est un vrai parcours du combattant. La meilleure métaphore, pour moi, c’est celle du labyrinthe : on y entre lorsqu’on enclenche le processus, il y aura sans doute des impasses, mais l’on sait que l’on va y arriver ! »,
Louis.
J’ai alors suivi un master qui m’a donné l’occasion de rédiger un mémoire. Ce n’était pas prémédité, et la transition a été très fluide : suite à la parution du livre blanc sur l’apprentissage, j’ai eu l’idée de réaliser mon mémoire sur le sujet. Et simultanément, certains indices m’ont laissé penser que le président de l’université où j’étais en poste souhaitait se pencher sur le sujet. Formidable hasard… !
Le thème de la création d’un Centre de Formation pour Apprentis, d’objet de mes recherches, est devenu réalité, et j’en suis devenu l’acteur principal. Un vrai cadeau sur un plateau...»,
Gilles.
Puis de retour en France, les événements se sont bousculés : licenciement économique, possibilité de faire financer des formations par mon ancien employeur, auxquels s’ajoutaient l’approche du mitan de ma vie et mon souhait de trouver une organisation flexible pour rester disponible pour mes proches. (…) Je fonctionne à partir des opportunités, en avançant à chaque étape... C’est la somme de ces opportunités qui m’a permis de trouver aujourd’hui un nouvel équilibre pour me réaliser pleinement, (…), en mettant les indices les uns au bout des autres. Et lorsque j'ai identifié, réalisé et compris LA raison d'être de ce métier (mon métier aujourd’hui) et que je l'ai superposé à MA raison d'être, à l'image d'une feuille de papier calque posée sur un tableau, un tableau de vie rempli de moments de bonheur, c'était alors comme une évidence... »,
Michaël.
J’ai quitté cette formation en 2013, n’ayant pas trouvé la possibilité de maintenir ou d’intégrer dans le fonctionnement de notre ensemble certaines valeurs, qui bien que subjectives, restent fondamentales à mes yeux et sur lesquelles s’appuient ma vocation. Tout a commencé avec le sentiment avéré de ralentir les évolutions de carrières proposées par mes partenaires, à qui j’ai alors proposé de céder ma place… Tout simplement le désaccord profond, même si je ne l’ai compris que plus tard, entre les axiomes essentiels de ma vocation et les développements de la carrière et des orientations de l’ensemble que j’avais fondé…
La question se pose alors naturellement : devant quelle expérience de vie me trouvé-je ? Transition ? Mutation ? Adaptation ? Acceptation ?...Echec ?
Un ensemble de musique de chambre s’appuie sur une collaboration complexe entre des individus qui doivent inventer le cadre artistique éthique et organisationnel qui sera le socle de leur devenir professionnel. Aujourd’hui, j’observe a posteriori et avec un certain effarement notre capacité à taire nos aspirations, à toute fin de permettre à une situation donnée de durer… Et j’adhère volontiers à la pensée qu’il y plus de volonté que l’on ne le croit dans le bonheur, quel que soit sa forme…
Je crois que le moment le plus important de cette transition a été la prise de conscience que beaucoup des activités qui nourrissent mes actions ont été initiées avant la création du Quatuor que j’ai fondé : c’est plutôt l’aboutissement d'un processus personnel qui a permis l’usage de la volonté contre l’habitude. Dès lors, il ne s’agissait plus d’un changement de cap mais d’un recentrage. Du reste, depuis mon départ et la cessation de mon activité au sein du Quatuor, il n’y a pas de processus de « remplissage » d’un temps qui aurait été libéré, mais seulement la poursuite de rêves et d’objectifs jamais altérés….
Les éléments décisifs pour réussir ma transition de vie ? Certainement la fidélité à soi-même, une forme d’intégrité, l’accompagnement et l’adhésion de mes proches, ainsi qu’un sentiment de continuité et de centrage, porteur de perspectives de liberté sans contrainte… Mettez-vous à l’abri des offensives du regard de l’autre : la réussite ne peut résulter que d’une volonté personnelle d’intervenir utilement dans notre société par des contributions même modestes, et ce en parfaite harmonie avec des valeurs plus privées, plus personnelles (liées à la famille, son conjoint, une éthique, un héritage moral…).
« Et si c’était à refaire
Je referais ce chemin
Une voix monte des fers
Et parle les lendemains… »
Louis Aragon
Pierre